Le forum du saxophone et des saxophonistes

... ou non, telle est la question sinusoïdale...

Suite à une remarque plus que pertinente d'un membre qui se reconnaîtra, je pose la question ici, puisque c'est le chapitre des célébrités.

Il semblerait qu'on reproche parfois (précautions oratoires...) aux jeunes musiciens de ne pas écouter ou avoir écouté les anciens. Il semblerait aussi que ce reproche existe dans divers courants musicaux. D'ailleurs, ne pourrait-on pas imaginer la même remarque dans d'autres univers créatifs ? Peinture, théâtre, ... politque ?

La question tombe à pic en ce qui me concerne. Pas plus tard (ni plus tôt d'ailleurs) qu'hier, j'ai pu assister à un spectacle fort sympathique, Echoes of Bechet. Présentation d'une bio, forcément résumée, de Sidney Bechet. Narrateur, projection de photos, et, surtout, orchestre sur place, clarinette & sax soprano, trompette et rythmique, pour illustrer le propos. Le lourde tâche d'incarner Bechet est revenue sur les épaules et sous les doigts de Léonard Müller, qui remplit le rôle avec talent.

Au-delà dudit spectacle, permettant de redonner à un musicien toute sa place, Léonard Müller est également en charge d'un atelier jazz traditionnel à l'EJMA, école de jazz lausannoise bien connue. A ma connaissance, Michel Weber et Christian Gavillet l'y ont précédé.

L'existance de cet atelier répond assez précisément au constat soulevé ci-dessus: se frotter concrètement à la façon dont le jazz était pratiqué dans ses premières décennies, souvent sans écrit, mais néanmoins des pratiques (à défaut de règles) assez bien établies. Bien avant les Real Books. Ceux d'entre nous, et j'ai eu cette chance, qui ont côtoyé la génération qui s'est approprié le Jazz New Orleans par les disques, les concerts des grands, et les jam-sessions, se rappelleront de l'utilisation de simples grilles d'accords (le Baudoin...), et c'est tout.

Dans un autre contexte, je constate régulièrement la difficulté, notamment en big band, de faire sonner un ensemble comme sur les disques. Nos niveaux d'amateurs plus ou moins appliqués montrent leurs limites. Mais il y a aussi, c'est typique en jazz, et ça doit être le cas ailleurs aussi, la façon de restituer, d'interpréter, ce qui est écrit.

Binaire/ternaire/non-binaire, où sont les accents, articulation, ghost notes, et j'en oublie.

Question: si tu n'écoutes pas les anciens, comment tu assimiles ce langage ?

Ça rejoint le propos de Bob Reynolds : "si tu passes d'abord par l'écrit, tu passes à côté du principal (you are missing the point)" et vu qu'on est culturellement (d'indécrottables) adeptes du "passe par l'écrit d'abord" et ben, on revient au principal après être passés à côté.
Je n'ai toujours pas fait mes classes côté repiquage à l'oreille de solos des grands. Et je sais pertinemment que ça manque à ma pratique.
Ça fait longtemps que j'écoute, mais sans remonter les manches en même temps...

Pfff, nan mais t'as vu tout ce qu'il y a à assimiler ?

À l'EJMA, il y a aussi Charles Schneider (alias Chnani)
http://pubcs.free.fr/Charles_Schneider_ ... n/main.htm

Un petit HS : en parlant de Chnani, il a mis en ligne un gros volume de documents qu'on pourrait peut-être indexer quelque part sur le site : http://pubcs.free.fr/ejma_web/docstart.html
Plein d'écrits... sur la pratique

J'ai le livre "Complete Piano Rag" copyright 1908 de Scott Joplin, qui contient 38 partitions originales.
On dit que c'est lui qui a le premier rompu avec la musique occidentale, et qui a en partie impulsé l'apparition du jazz.
Cette musique a donc d'abord été écrite, par nécessité, jusqu'à ce que l'écriture puisse être remplacée par la gravure.
Et grâce à la gravure, l'improvisation est devenue une activité rentable, puisqu'elle pouvait être entendu bien au-delà des murs entre lesquels elle a été réalisée, et via un média commercialisable.
La musique techno a commencé en 1910, et elle n'a pas cessé d'évoluer jusqu'à aujourd'hui.

au fil des décennies , ceux dont tous les ténors parlaient :
Lester Young (disparu en France dans les évocations dans les années 70…)
Jusqu’à fin 70’s :Coleman Hawkins (the father ), Coltrane, Rollins, Griffin, (un peu). Ayler (les plus radicaux), Getz (mais pas tout le monde, certains le trouvaient mièvre), Barbiers…
Années 80 /90 : Garbarek + plus ceux des 70’s (Joe Henderson en outsider) + Gary Thomas, Jim Pepper (celui-ci c’était surtout pour « Wichi tai too »joué par Garbarek et aussi Metheny)…
Années 90 : Brecker, Bob Berg, Bob Mintzer, Ernie Watts, Getz (encore un peu moins), apparition de Joe Lovano en contre - style ;
Années 2000 : Chris Potter, Garbarek, Andy Sheppard, Julien Loureau (en France), Ré-apparition de Charles Lloyd,
Années 2010 : Mark Turner puis hégémonie de You tube, à vous de compléter… (Kamasi Washington, Dayna Stephens, Bob Reynolds, Nubbia Garcia, etc.)
C’est juste un souvenir…Donc très subjectif.
Pour ma part, je citais toujours les mêmes, bien esseulé : Dexter, Zoot, Paul Gonsalves, Hank Mobley, Booker Ervin, Pharoah Sanders, les premiers Impulse de Coltrane, Rollins jusqu’à la deuxième pause (« on Impulse, Alfie, East Broadway run Down), Barbey Wilen, etc.

A suivre pour l’alto qui me semble plus fluide et plus simple…

Excellent sujet! Merci Dexdex!

Patrick Bartley (sax alto phénomène sur YT mais pas que) incarne bien ce paradoxe ancien/nouveau : il est capable de jouer de la musique de jeux vidéo avec le plus grand sérieux et cramer la grille d’accord sur de « vieux standards » type after you’re gone.

Il est fan de culture japonaise en ayant grandi en Floride puis passage à New York, de parents Haïtiens si ma mémoire est bonne (source YT sur sa page YT). Il vit maintenant au Japon. Une très belle incarnation du métissage et de tous les délices qu’il produit!

Bref pour reprendre le fil du sujet, sa vision est intéressante il me semble. il dit et répète qu’on ne peut comprendre le jazz sans se rappeler que:
- c’est une musique métissée qui plonge ses racines dans l’histoire des Afro Américains et de ses souffrances (esclavage, ségrégation, racisme)
- tout le monde peut jouer du jazz, en ramenant ses ingrédients personnels comme en cuisine, peu importe de quel endroit du globe on vienne. Mais il faut toujours se rappeler qui a ramené la marmite en premier lieu (communauté Afro Américaine)
- pour faire de bons sushis ou une bonne pizza italienne, il est nécessaire de se renseigner auprès des grands chefs sur ce qui fait les bases de la bonne cuisine. C’est pareil en jazz. On peut faire de la fusion food ensuite mais il est nécessaire d’aller à la source pour se rendre compte des ingrédients nécessaires.
- il apprend le japonais et fait le parallèle avec l’apprentissage du jazz. On peut apprendre avec les livres mais on aura pas toutes les infos véhiculées par l’oral : accent, inflexions, articulations, intensité, etc.
- le jazz est à la base une musique dansée, incarnée par le corps (cf Congo Square à la Nouvelle Orléans), il faut s’en rappeler même si on ne joue pas du jazz swing. Ca fait partie de son ADN
- il insiste sur la primauté absolue de repiquer à l’oreille les thèmes, les solos à partir des grands noms du jazz en commençant par les anciens. Il est pas le seul à le faire. Pour avoir pris des cours avec Chad LB, il me donnait du Lester Young et du Dexter Gordon en veux tu en voilà à repiquer chaque mois ! J’y arrivais pas tout à fait mais j’ai progressé à pas de géant avec cette méthode!

Voilà résumé un peu longuement ce que Patrick Bartley dit dans cette vidéo
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Et pour un aperçu de sa version de After you’re gone c’est par ici
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Tiens. Ça répond à une question que je me posais.
Les vidéos d’Emmet Cohen évoquent pour moi un lointain souvenir de la TV (oui, la télévision, celle qui trônait au salon et qu’on allumait comme un rituel), on est dans les années 70: le Muppet Show.
Accoutrements, attitudes, mise en scène, il ne manque que la grenouille et les 2 vieux. Je pense être l’un d’eux.
Ce n’est sans doute pas un parti pris délibéré, mais l’influence des cultures Nintendo et K-pop doit y être pour quelque chose. Sans rien enlever à la qualité musicale.
Une façon de rendre un peu de fantaisie adolescente à une musique, le jazz, qui était devenue trop sérieuse, voire sinistre ? Un commentaire souvent entendu parmi mes potes rockeurs.

Ça ajoute une facette au questionnement du fil.
Intégrer les anciens, c’est la musique, mais aussi des postures, mises en scène, accroches visuelles ?

Et c’est vrai. La reprise d’After You’ve Gone est très neo-retro. Le solo de Patrick Bartley évoque Benny Carter. Il doit avoir entendu parler de lui…

Joe Henderson parle ici dans une masterclass de l'apprentissage à l'oreille.



Bien sûr, il faut aussi savoir bien lire, par exemple lorsqu'on reçoit une nouvelle partition dans un big band .

Mais pour l'improvisation, je donne 95 % à l'oreille et 5 % à la partition.

Même en tant que saxophoniste ténor, je m'inspire toujours de Bird.
Le bebop est l'essence même de tout ce qui a suivi (à l'exception peut-être de ce jazz-rock qui ne me dit rien) et chaque solo de Bird de 4 mesures est une masterclass en soi.

Tenorman a écrit : ↑11 nov. 2025 08:59
Bien sûr, il faut aussi savoir bien lire, par exemple lorsqu'on reçoit une nouvelle partition dans un big band .

Mais pour l'improvisation, je donne 95 % à l'oreille et 5 % à la partition.

Même en tant que saxophoniste ténor, je m'inspire toujours de Bird.
Le bebop est l'essence même de tout ce qui a suivi (à l'exception peut-être de ce jazz-rock qui ne me dit rien) et chaque solo de Bird de 4 mesures est une masterclass en soi.

95% à l'oreille! Tu dois avoir une oreille excellente...Si tu passes ton temps à reproduire les chorus de Bird, tu dois y passer beaucoup de temps. Personnellement, je pense qu'une analyse théorique préalable est souvent indispensable, ou alors il faut un sacré niveau...et des années de travail auparavant.

Je pense exactement le contraire de ce que tu énonces.
Si tu as as les gammes et modes (pour de vrai, c’est un gros travail), en backing ground, tu peux jouer à l’oreille.
Ce n’est pas absolu, mais la plupart du temps tu joues in et ce n’est pas out. Cela permet de jouer avec les autres instruments et pas contre.
J’ai appris ça avec Alan Silva (Cecil Taylor) et François Cotinaud.
Ça m ‘a pas mal servi…..